La Cour de cassation confirme sa jurisprudence concernant la délicate question de l’interdiction du port de signes religieux dans l’entreprise et notamment de celle du port de la barbe.
Dans cette affaire, un salarié travaillait en tant que consultant sûreté, spécialiste du Proche et Moyen-Orient, dans une société fournissant des prestations de sécurité à différents organismes (ONG, entreprises…). L’employeur, qui souhaitait envoyer ce salarié au Yémen pour sécuriser les déplacements de clients américains, lui avait demandé de donner à sa barbe une apparence plus neutre afin qu’elle soit dénuée de toute connotation religieuse ou politique susceptible de remettre en cause la sécurité de sa mission.
Le salarié ayant refusé, son employeur l’avait licencié pour faute grave lui reprochant le port d’une barbe « taillée d’une manière volontairement signifiante aux doubles plans religieux et politique ». Le salarié avait alors contesté son licenciement devant les tribunaux au motif que cette mesure était discriminatoire car fondée sur ses convictions religieuses.
La Cour de cassation a confirmé le caractère discriminatoire de ce licenciement. Elle a d’abord rappelé que l’employeur peut intégrer dans le règlement intérieur de l’entreprise une « clause de neutralité » prévoyant, de manière générale et indifférenciée, que le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux est prohibé. Sachant que cette interdiction ne peut s’appliquer qu’aux salariés en contact avec des clients.
En l’absence d’une telle clause dans l’entreprise, les juges ont estimé que le fait d’interdire au salarié de porter une barbe qui montrerait ses convictions religieuses et politiques et de lui demander de la tailler de manière plus neutre constitue bien une discrimination directement fondée sur ses convictions. Or, une telle restriction à la liberté religieuse imposée à un salarié par un employeur n’est légitime que si elle est justifiée par la nature de sa tâche, qu’elle répond à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et qu’elle est proportionnée au but recherché (considérations de sécurité, par exemple).
Dans cette affaire, la demande de l’employeur faite au salarié de tailler sa barbe était essentiellement motivée par un souhait des clients qu’ils devaient accompagner au Yémen. Or, la Cour de cassation a rappelé que la seule volonté d’un employeur de tenir compte des souhaits particuliers d’un client ne constitue pas une « exigence professionnelle essentielle et déterminante » pouvant justifier une restriction à la liberté religieuse du salarié.
Pour que le licenciement du salarié ne soit pas considéré comme une discrimination fondée sur un motif religieux, l’employeur devait donc établir que sa demande était justifiée par des considérations de sécurité, c’est-à-dire par l’obligation d’assurer au Yémen la sécurité de ses salariés et de ses clients. Mais les juges ont estimé que celui-ci « ne démontrait pas les risques de sécurité spécifiques liés au port de la barbe dans le cadre de l’exécution de la mission du salarié au Yémen ». Et que le licenciement du salarié était donc nul en raison de son caractère discriminatoire.
Cassation sociale, 8 juillet 2020, n° 18-23743
Les Echos Publishing 2020